Twelve Seasons

Entretien avec Michèle Noiret réalisé par le Théâtre Les Tanneurs.

Brochure Les Tanneurs, saison 2000-2001

La musique de Stockhausen est au cœur du projet Twelve Seasons. Comment définirais-tu le rapport qu’entretient Stockhausen avec la danse et comment te positionnes-tu par rapport à ça ?
Michèle Noiret : Karlheinz Stockhausen, m’a toujours beaucoup parlé des danses traditionnelles indiennes, mais aussi des danses balinaises et japonaises, différents arts en relation très étroite avec la composition musicale. Je pense que ce qui l’intéresse avant tout dans cette expérience avec la danse c’est de réinventer cette relation en partant bien entendu de son travail de composition. La composition musicale est le fondement de la danse et chaque geste est soumis aux rythmes, à la hauteur et à l’intensité de la partition. Ce fût une expérience très difficile, passionnante et enrichissante. Mais lorsque  j’ai commencé à créer mes propres pièces, j’ai pris une grande distance par rapport à ce concept, j’avais besoin de silence et de rechercher la musicalité propre aux mouvements que j’inventais. Ce qui explique pourquoi, la plupart du temps j’ai choisi des musiques originales et suscité le dialogue avec les compositeurs concernés. Comme pour le Solo Stockhausen, Twelve Seasons me donne l’occasion d’utiliser toute l’expérience acquise au contact de Stockhausen tout en  développant différemment le travail chorégraphique. Je trouve très important  à partir de l’instant où on choisi une partition existante de l’analyser et de s’en inspirer, mais j’essaie d’éviter de l’utiliser de manière redondante. Donc une des particularités de Twelve Seasons, comme du Solo Stockhausen, est que la musique existe préalablement au travail chorégraphique.

Stockhausen, la musique contemporaine, ce n'est pas un peu ardu pour le public non spécialisé ?
Michèle Noiret : Il me semble que le public qui vient voir un spectacle de danse contemporaine est intéressé aussi à la musique contemporaine. Je ne pense pas qu’il faille être spécialiste de quoi que ce soit pour apprécier le travail d’artiste contemporain. Il faut être curieux, avoir une certaine ouverture d’esprit et laisser ses préjugés au vestiaire !
Je pense qu’il est intéressant non seulement au niveau de la l’invention, de l’inspiration, mais aussi au niveau des émotions, du sensible, de faire connaître l’œuvre de Stockhausen à un plus large public. Il a été à partir des années 50 une des figures les plus imaginatives et radicales dans tous les domaines. Il a ouvert des voies nouvelles, audacieuses et fécondes  qui  ont inspiré des générations d’artistes. Il ne faut pas oublier qu’il fascinait dans les années 70 l’avant-garde rock, tel Franck Zappa ou Krafktwerk et qu’aujourd’hui il est souvent cité comme référence par des artistes comme Bjork et d’autres de cette nouvelle génération  qui s’intéresse à la musique électronique en particulier. Ceci dit l’œuvre de Tierkreis qui sera interprètée dans Twelve Seasons est une musique instrumentale très mélodique. Les parties interactives et électroniques seront dues au compositeur Todor Todoroff., qui a signé la musique d’In Between.

Pourrais-tu tracer dans les grandes lignes ta manière de travailler ?
Michèle Noiret : Il est toujours difficile d’expliquer comment s’élabore le travail parce que si j’aime partir de structures précises, je laisse aussi beaucoup de place à l’intuition. Dans ce cas-ci, comme il n’y a ni thème, ni histoire, le sujet vient de la musique. La pièce Tierkreis évoque les 12 caractères du zodiaque. Dès lors je peux imaginer des « personnages chorégraphiques », sans entrer dans une vision trop concrète ou trop illustrative du propos. Ces personnages sont influencés par les éléments fondamentaux qui les définissent : l’eau, la terre, l’air, le feu.

Dans une première étape, les danseurs apprendront à chantonner les partitions.

J’ai aussi demandé aux musiciens d’enregistrer leur partie séparément pour que les danseurs puissent entendrent toutes les couches de la composition musicale et qu’ainsi on puisse plus aisément, dégager les différents rythmes et les phrasés des mélodies. Je pense que la chorégraphie peut amener une écoute plus détaillée de la musique, en faisant ressortir visuellement les détails de la composition musicale. J’espère que cette technique permet au spectateur une écoute différente et plus riche de la musique.
Ensuite, je tiens compte de la personnalité de chacun des danseurs et de leur manière de bouger, du travail sur les images vidéo de Paolo Atzori, des recherches avec les interactions via l’ordinateur et de la place des musiciens dans la chorégraphie. Reste alors de faire de tous ces éléments  une composition cohérente…

Quand on évoque ton travail, on parle souvent d’abstraction. Tu viens de parler de « personnages chorégraphiques », de personnalité des danseurs. Est-ce qu’il faut voir là une contradiction ?
Michèle Noiret : Pour moi, la chorégraphie est aussi quelque chose d’extrêmement personnel et intérieur, elle est liée aux personnes avec qui je travaille. Quand je choisis des interprètes, je m’attache à leur manière de bouger et donc à leur personnalité. Je trouve intéressant de laisser s’exprimer cette partie d’eux-mêmes et de leur proposer en même temps mon travail, ma gestuelle afin de trouver un enrichissement mutuel. J’aime que les danseurs ne soient pas simplement des instruments techniques. Ce qui ne veut pas dire que je suis dans la danse-théâtre. Je tends vers l’abstraction mais en faisant ressortir les rapports humains qui se tissent entre les danseurs, découvrir comment différentes personalités mises en relation peuvent influencer le sens de la chorégraphie. C’est pour cette raison que je ne définis pas ma danse comme tout à fait abstraite et que je parle de reflets de comportements humains qui nourrissent aussi la trame de la chorégraphie. C’est pour cette raison également que les danseurs sont difficilement interchangeables.
A côté de ça, la recherche de l’utilisation de l’espace, la lisibilité des mouvements qui se renvoient les uns aux autres et qui font surgir les différentes architectures de la chorégraphie sont des paramètres récurrents dans mon travail.

Que retires-tu du spectacle In Between, dans lequel tu as utilisé ce qu’on appelle les nouvelles technologies ?
Michèle Noiret : Par rapport aux nouvelles technologies, je crois qu’il y a un réel danger d’étouffer le propos chorégraphique. Dans In Between, et ce sera le cas aussi dans Twelve Seasons, mon but est de trouver un langage commun aux différentes techniques exploitées sur scène. Que ce soit celles de la  danse, de la scénographie, de la musique jouée en direct sur le plateau, de l’image vidéo ou du travail interactif, il s’agit d’arriver à une composition où, tous ces éléments ne s’annulent pas les uns les autres, ne s’additionnent pas non plus,  mais au contraire  mettent en valeur la structure et le sens  du spectacle. Il ne faut pas que la technologie se substitue au travail de composition chorégraphique, mais qu’elle le prolonge.
Dans In Between, on a tenter de transformer continuellement l’espace rectangulaire de la scène au moyen de la lumière, la vidéo, les écrans mobiles et la spatialisation du son de tel sorte que les spectateurs soient amenés à  changer leur  perception.
La relation scène/public m’intéresse aussi beaucoup. Dans Solo Stockhausen, je vois le public comme il me voit et cela installe tout de suite un rapport différent entre nous. Dans In Between, grâce à la micro télécaméra, le public s’est retrouvé sur le plateau via les écrans de projection. Je vais poursuivre l’exploration de ces idées dans Twelve Seasons.
Les musiciens étant sur scène, je travaillerai sur l’interaction entre musiciens et danseurs. Le musicien fera partie de l’architecture de la chorégraphie. Mais les danseurs deviendront à leur tour instruments, par un jeu interactif de senseurs reliés à l’ordinateur.
Les nouvelles technologies sont, non seulement, une composante de notre monde contemporain qu’il est intéressant d’intégrer dans le travail artistique, mais elles permettent aussi, à mon avis, d’enrichir considérablement le propos et le sens du travail, en ouvrant toujours de nouveaux horizons.

Date 

Vendredi, 1 septembre 2000
Top